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Dans les CAF, des agents sous pression et des allocataires en attente de prestations

Dans les CAF, des agents sous pression et des allocataires en attente de prestations

Dans les Caisses d'allocations familiales, la crise et l'arrivée du RSA encombrent les guichets. Face à ces nouveaux arrivants et aux nouveaux modes de management, les agents sont débordés et «perdent le sens du métier». Et pour les allocataires, les retards sont légion.


Article publié le mercredi 09 mars 2011


La queue s’allonge au guichet de la Caisse d’allocations familiales
du XVIIIe arrondissement de Paris. «Pour gagner du temps,
venez au bon moment !» : sur la porte, les horaires sont surlignés
en rouge. Au téléphone, avant d’avoir un agent, l’accueil se fait
par un chaleureux : «La CAF étant fortement surchargée, il est
conseillé de ne pas vous rendre aux accueils, de ne pas téléphoner
et de ne pas envoyer de mails.»
CAF du XIXe arrondissement
Les CAF sont en burn-out . Depuis deux ans, les stocks de
dossiers à traiter s’accumulent. À Marseille comme à Paris, le
nombre de journées qu’il faudrait pour «liquider» la totalité des
dossiers ?ce qui implique de ne recevoir ni courriers ni visites ?
est de quatre. «Une bonne moyenne» par rapport aux autres CAF.
Note d’information du conseil d’administration de la CNAF du
1er février 2011
Mais pour les allocataires, cela ne signifie pas que le courrier est
traité dans les quatre jours après son arrivée. En Seine-et-Marne,
le stock est de 12 jours de retard. Toutefois, dans les paniers,
certains courriers d’il y a plus d’un mois n’ont toujours pas été
ouverts. Pour Pierre-Claude Monnier, administrateur CGT à la
CNAF et président de la CAF du Val-d’Oise, certains dossiers
peuvent avoir jusqu’à quatre mois de retard. Une situation largement
aggravée depuis deux ans.
Comme pour les allocations personnalisées au logement (APL).
Marc, étudiant de 24 ans, vient tout juste de les recevoir. Mais
son loyer, il le paye depuis octobre. «J’ai de la chance de ne pas
être dépendant à 100% de la CAF !»
Précarité et RSA
La faute à la crise tout d’abord. Depuis 2008, les allocataires sont
plus nombreux. Les déclarations de changements de situation ont
grimpé, de pair avec les courriers et les visites. Et avec cette
hausse de la précarité s’ajoute pour les employés «une certaine
agressivité à l’accueil» .
Puis la faute au RSA (Revenu de solidarité active). Entre juin
2009 et juin 2010, le nombre de bénéficiaires des CAF a augmenté
de 20%. Depuis le 1er septembre 2010, il est étendu aux
moins de 25 ans. Et, du fait des conditions d’attributions compliquées
et finalement limitées, «beaucoup de jeunes viennent alors
qu’ils ne peuvent pas y prétendre», indique Jean-Luc Lefebvre,
syndicaliste CGT de la CAF de Lille. La pile de courriers s’élève.
Après le RSA, en ce début d’année a été réformée l’allocation
aux adultes handicapés (AAH). Désormais, pour la percevoir, les
déclarations doivent être faites tous les trimestres, contre une fois
par an auparavant. Et les retards nuisent aux retards : les allocataires
désirant savoir où en sont leur dossier se rendent aux accueils
ou téléphonent.
Par ailleurs, la lutte contre les fraudes est devenue un mot d’ordre,
rappelé avec dans la dernière Convention d’objectifs et de gestion
(COG). La Cour des comptes, dans un rapport de septembre 2010,
mettait cependant en garde :
Rapport de la Cour des comptes, p.187
Face à cette pression accrue, les contrôleurs s’estiment trop
peu nombreux pour respecter les objectifs. «Nous sommes huit
contrôleurs pour 120.000 allocataires» , compte une contrôleuse
lilloise. A Paris, «ils sont trente aujourd’hui contre cinquante il y
a dix ans, pour 400.000 allocataires» , détaille un syndicaliste. À
Lyon, depuis deux ans, le service fraude emploie six techniciens...
qu’il emprunte au service de traitement des dossiers.
Non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux
Le personnel se sent d’autant plus surchargé que, depuis juillet
2010, un départ à la retraite sur deux n’est pas remplacé. D’ici
2012, il faudra supprimer 58 postes sur 550 dans le Nord, 73 sur
1.200 à Paris (où la CAF comptait 2.000 employés en 1992), 22
sur 880 à Lyon.
Lors de la mise en place du RSA en 2009, 1.257 postes ont été
accordé pour gérer ce travail supplémentaire ? contre 1.800 réclamés.
Mais, ajoute Antoine Leborgne, à la CGT, «la convention
d’objectifs et de gestion (COG) précise qu’à la fin 2012, il doit
en rester 80» . Des chiffres que réfute la Caisse nationale : «Il
s’agit des départs à la retraite avec le non-remplacement d’un
départ sur deux à compter de juillet 2010. Au total, la branche
Famille disposera d’un nombre de postes supérieurs en 2012 que
fin 2008.» La création du RSA jeunes, elle, ne s’est pas accompagnée
de recrutements.
Aucune inquiétude pour les allocataires, veulent rassurer les syndicats
: les économies de postes ne se feront pas à l’accueil ou sur
les techniciens conseils en charge du traitement des dossiers. Mais
les travailleurs sociaux et les conseillères en économie sociale et
familiale devraient en pâtir.
Et pour les conseillers techniques, la pression reste identique.
Toutes les CAF ont des objectifs chiffrés : 85% des dossiers de
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Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet
minima sociaux doivent être traités en dix jours, 85% des autres
pièces doivent être traités en moins de quinze jours. Il faut répondre
à 90% des appels téléphoniques. Le temps d’attente à l’accueil
doit être inférieur à 20 minutes. Des chiffres pas toujours
respectés, mais en amélioration par rapport à 2009, se réjouit la
CNAF :
Note d’information du conseil d’administration de la CNAF du
1er février 2011
Note d’information du conseil d’administration de la CNAF du
1er février 2011
Nombre de dossiers traités en moins de 15 jours
Nombre de dossiers traités en moins de 15 jours - conseil d’administration
de la CNAF du 1er février 2011
«On travaille en flux tendu, on ne connaît plus que ça !»
s’indigne-t-on dans plusieurs CAF. Et comme une partie du salaire
des employés, en intéressement, en dépend, les syndicats
parlent d’une diminution des revenus ces deux dernières années.
Du côté de la direction de la Caisse nationale, on ne nie pas
l’alourdissement des charges. Pour y remédier, elle a mis en place
un «atelier de régulation des charges» (ARC) dès juin 2009. De
manière électronique, 37 CAF n’accusant pas de retard en aident
52 autres en récupérant un stock de dossiers. Comme à la CAF
de Paris : «Cette semaine, on aide la Guadeloupe ; la semaine
prochaine, c’est l’Essonne.» Avec parfois les difficultés : dans les
DOM, la législation est différente.
«On ne fait que de la gestion d’indicateurs»
Un des moyens pour réguler les charges est la «mutualisation» :
mettre en commun les équipes pour traiter plus de dossiers plus
rapidement. Ainsi, la CAF de Nancy s’occupe de la paye de la
Meuse, etc.
P.20 de la Convention d’objectifs et de gestion entre l’Etat et la
Cnaf
En outre, cette année, les CAF doivent être départementalisées :
chaque CAF locale vera son administration regroupée au niveau
départemental. Le Nord, et ses huit CAF, devrait être le plus touché.
Pour la caisse nationale, le réseau «gagnera en cohérence»,
et elle rassure : «L’ensemble des emplois seront maintenus et il
n’y aura aucune mobilité forcée. Les 2.000 points d’accueils dédiés
aux allocataires sont maintenus.»
À Nancy, l’an dernier, le centre d’appels a transféré une partie de
ses appels à la CAF de Moulins qui sous-traite son centre d’appels
à une société privée. «Vingt plateaux de renfort ont permis, durant
six mois de prendre en charge plus de 40% du flux téléphonique
de la branche famille» , précise la CNAF. Avec des effets limités.
«Mes collègues à l’accueil recevaient des personnes à qui le
centre d’appels n’avait pas pu répondre et leur avait dit de passer
» , raconte Pierre Nordemann, représentant CGT à la CAF de
Nancy. De telles opérations ont également lieu aux services courriers,
en charge de scanner les documents pour les envoyer aux
CAF.
Faute de pouvoir recruter, les recours aux CDD se multiplie : 5
mois et 20 jours, pour ne pas les titulariser. «Et on est obligé de les
former à chaque fois», rappelle-t-on. Tout comme les techniciens
finalement embauchés après un départ à la retraite : la formation
dure un an.
Alors chaque CAF s’organise pour traiter le stock de dossiers.
Sur la façade, ce sont des jours non ouverts au public pour traiter
les dossiers ici ou là. Parfois, de manière durable, comme dans les
antennes extérieures de la CAF de Lille qui ferment leurs accueils
les mardis, parfois même les mercredis, et pendant les vacances
scolaires.
Et puis il y a le recours aux heures supplémentaires. Quasi inexistantes,
il y a encore quatre ans.
Volume d’heures supplémentaires, note d’information issue du
conseil d’administration de la CNAF 1er fevrier 2011
Elle peuvent devenir obligatoires lorsqu’il n’y a pas suffisamment
de volontaires, comme en Seine-et-Marne. Ce recours a tendance
à se systématiser : «On doit faire 1.800 heures supplémentaires
entre fin janvier et début mars, en travaillant plus longtemps en
journée et quatre samedis sur six, raconte Pierre Nordemann, ça
correspond à peu près à un temps plein sur une année ! L’an dernier,
des collègues ont atteint les 220h supplémentaires (durée
maximale par an).» Une syndicaliste reconnaît : «De toute façon,
on n’est pas assez pour faire le travail.»
Pour respecter les objectifs, «on traite les dossiers en moins de
10 jours en décembre pour compenser le fait qu’on en met 16 en
moyenne en janvier» , indique Jean-Luc Lefebvre à Lille. «Aujourd’hui,
on ne fait que de la gestion d’indicateurs.»
Au courrier, même besoin. Toujours dans le Nord, «on traite le
dernier courrier mais on laisse celui qui est là depuis un mois et
demi» .
Pressions et dépressions
Du coup, les agents dénoncent un «travail d’usine» . Le 8 février,
4.000 employés des différentes caisses sociales manifestaient à
Paris, contre leurs conditions de travail. «Avant on traitait une
famille, aujourd’hui on ne traite plus que des dossiers» , soulignait
une employée. A Lyon, les agents passent une journée sur
des dossiers d’aide au logement, la journée suivante sur une autre
prestation... «C’est une perte d’intérêt», constate Karine Bougain
de FO. À Marseille, «on a des pressions pour accepter de
faire des heures supplémentaires ou pour prendre des congés à
certaines périodes de l’année. À l’accueil, les cadres ont un outil
: lorsqu’ils estiment que l’agent reste trop longtemps avec un
allocataire, ça allume une lumière rouge» , raconte Gérard Senatore.
Dans cette CAF, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions
de travail (CHSCT) a remis un rapport d’expertise soulignant
des «conditions de travail moralement éprouvantes» pour
les travailleurs sociaux.
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Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet
Rapport CHSCT p.48 Rapport CHSCT p.49
«Le travail est mal fait, dans l’urgence. Nous devons traiter 30
dossiers par jour et on envisage de nous faire passer à 35 , dénonce
Pierre Nordemann. Je suis à la CAF depuis fin 2008, et
ce qui m’a frappé, c’est le niveau de désespoir des agents. Ils ne
voient pas d’évolution positive.»
Depuis les suicides à France Télécom, le stress des agents est attentivement
mesuré. «Les arrêts maladies de courte durée se multiplient
» , ajoute Gérard Senatore. Des chiffres que la direction de
la CAF 13 n’est pas en mesure de fournir. Elle indique cependant
que les taux d’absentéisme maladie de courte et longue durée sont
restés stables entre 2008 et 2009.
Questionnée, la Caisse nationale renvoie sur la hausse du nombre
de dossiers due à la crise. «La CNAF et les CAF locales travaillent
de concert pour, à la fois, aider les salariés à travailler dans de
meilleures conditions et servir au mieux nos 11 millions d’allocataires.»

source : mediapart.fr

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